785, route de la Trinité,
Le Paty de la Trinité,
13123 ALBARON
Dany Lahaye
Tél : +33 6 09 07 54 85
Nuno Oliveira et Beau geste
Nuno Oliveira et Beau geste
Nuno Oliveira et Beau geste

Décédé le 02/02/1989

Je n’avais alors que 5 ans lorsque j’ai vu Nuno OLIVEIRA pour la première fois : les yeux ouverts, je vivais un rêve magique, irréel. Malgré mon jeune âge, j’étais consciente de découvrir un cavalier pas comme les autres ; « LE MAITRE NUNO OLIVEIRA ».

Touchée par l’artiste, j’assistais alors aux stages que le Maître donnait en Belgique tout près de chez moi, et ma mère m’y inscrivit lorsque j’eu atteint l’âge de 13 ans. Je les ai ensuite suivis assidûment, en Belgique, en France puis au Portugal et ce jusqu’à sa mort.

Il était musicien et avait une âme de poète. Nous pouvons lire quelques-uns de ses poèmes dans la trilogie, petits livres peu connus et très intéressants, dédiés à ses petits-enfants et dans lesquels il nous invite à ses réflexions sur la vie, la politique, la religion, l’amour…

Lorsqu’il s’est installé à Avessada, il s’est occupé des pauvres de son village. Il ne supportait pas de voir des gens dans la misère. Il ne passait d’ailleurs jamais devant un pauvre sans avoir un geste à son endroit.

Il vivait intensément. Il aimait profondément la vie, la musique et bien sûr les chevaux…
Très bon pédagogue, il aimait particulièrement transmettre à ceux qui étaient désireux d’apprendre assidûment son art, écartant les gens qui prenaient le cheval pour un piédestal.

À la fin de sa vie, son équitation était très épurée, il avait atteint des sommets sur lesquels le commun des mortels ne pouvait plus le suivre.

Il illustrait magnifiquement cette phrase de Verdi qu’il aimait citer : « L’art , c’est la sublimation de la technique par l’amour »

Je médite à son cheminement qui est une déambulation de chaque jour, et qui n’a pu se faire que dans la conscience toujours réactivée de la recherche de la perfection.
Combien de cavaliers peuvent prétendre respecter le conseil qu’il donnait ?
Je le cite : « Je demande aux cavaliers qui me lisent et qui dressent leurs chevaux, de regarder leur monture lorsqu’ils mettent pied-à-terre après une séance de travail, de contempler son œil, et de faire un examen de conscience, pour se demander s’ils ont bien agi envers cet extraordinaire être vivant, ce compagnon adorable : le cheval ».

Il était l’héritier d’un passé équestre. Après avoir étudié tous les livres des grands Maîtres, il a fait la synthèse de leurs méthodes et pratiquait une équitation vivante, moderne, dans l’impulsion et la décontraction.

Lorsque Nuno vivait encore, le Portugal était pour moi le fief de l’équitation.
Lorsqu’on allait à Golega, on pouvait voir les plus grands écuyers, comme Guilherme Borba, Don José Athayde, Joao Trigueiro, Diogo de Bragance,…

Le Portugal, grâce au Maître, était le pays où l’on pouvait encore voir la belle équitation, celle qui nous vient des Grands Maîtres, et qui met en valeur le pur-sang lusitanien.

À présent, il y a encore d’excellents cavaliers, mais presque tous se tournent vers la compétition, qui demande une équitation très germanique, qui à mon avis ne correspond pas tout à fait à nos chevaux et au tempérament latin de leurs cavaliers.

Bien sûr, il faut que le pur-sang lusitanien puisse être reconnu dans le monde de la compétition, d’ailleurs certains ont le potentiel pour y arriver, mais il ne faut pas passer à côté des qualités de la race, qui ne sont pas mises en valeur dans des concours dont les règles sont faites pour des chevaux et des cavaliers germaniques. À la fin de sa vie, le Maître expérimentait son équitation sur des chevaux russes.

Je pense qu’il recherchait en eux la force propulsive dans le but d’obtenir un “rassembler” très poussé dans une impulsion extrême.

Il a ainsi prouvé qu’il était possible de monter en légèreté des chevaux difficiles, forts et même rigides. Il choisissait souvent des chevaux qui présentaient beaucoup de problèmes et de défauts, il décelait en eux des qualités qu’il mettait en exergue par son immense talent.

Il montait surtout avec l’assiette et le buste, sa main était très délicate, ce qui lui permettait d’obtenir la légèreté dans un équilibre parfait.

Gardons en mémoire ce cheminement d’homme, sur une voie qui lui est propre, qui a toujours été inspiré par une bienveillante et généreuse universalité que nous lui reconnaissons bien.

Merleau-Ponty disait: « La mémoire est, non pas la conscience constituante du passé, mais un effort pour rouvrir le temps à partir des implications du présent. »

Voici donc bientôt 20 ans que sa voix résonne à l’ombre des oliviers.

Je songe un instant à son parcours qui recevait cette multitude d’élèves, le contraignant à formuler des réponses. Il leur répondait en ne s’attardant plus sur la matérialité, mais sur l’essentiel, à savoir le sens profond des mots. Ce qui constitue déjà une ébauche de quête de la perfection, et d’une connaissance approchée.

Ainsi, sa réalisation “d’Homme de l’art équestre” allait lui permettre de retrouver les racines de l’être dans sa triple harmonie : plénitude, ordre, unité.

Quelque chose de supra naturel pouvait s’éveiller dans sa conscience et lui permettre de passer du « dehors » au « dedans » afin de se retrouver, au centre, point d’équilibre, centre de gravité de l’être essentiel (comme l’appelle Durkheim) , de cette parcelle divine qui réside au fond de chacun de nous et que la tradition égyptienne nommait ” le cœur-conscience “, cette intelligence sensible qui permettait au Maître de vivre en résonance avec l’univers et sa passion.

C’est ainsi que ses feux ont dissipé les brouillards de notre monde équestre du XXe siècle.

Lorsque l’étincelle est venue le toucher, elle a fait de lui, par ses enchantements, un flambeau pour éclaire sa propre vie, celle de sa famille et de ses élèves en toute humanité.

Il a marché vers la recherche, la perfection sans relâche. Pourtant, ce témoignage venu d’un passé, est un souvenir qui ne s’est pas effacé. Mais c’est un souvenir ambigu qui ne m’appartient pas vraiment. Il reste un souvenir communiqué, comme réfracté. Un souvenir de miroir où tout se voit sans être présent.

Je souhaiterais aujourd’hui partager avec mes amis cavaliers ce sentiment, cette émotion forte et bien mélancolique pour ce « musicien équestre » qui est parti dans la tombe sans son instrument.
Nous sommes les heureux témoins de la mise en harmonie de lui avec l’univers du monde équestre dans une expérience vécue qui lui aura permis de retrouver le chemin de son être essentiel.

Aristote disait : « Ne pas apprendre, mais éprouver ». Cette formule s’applique parfaitement à vous, cher Maître, dont la démarche ne peut aucunement s’apparenter à une acquisition extérieure à vous-même et qui viendrait se greffer comme un organe étranger. Je devrais donc plutôt dire qu’il s’agit là d’une réappropriation de votre être essentiel.

Ce qui est sûr, c’est que votre souci d’approcher « la vérité équestre » restait en permanence affectée de l’intérêt que vous portiez à notre monde sensible.

En fidèle écuyer-professeur, vous chevauchiez de colline en colline, de pays en pays comme le soleil de saison en saison. Sans repos, vous fréquentiez les Princes et les mendiants, parcouriez nos vertes vallées pour y épandre les graines absorbées par votre sillon. Comme cette cascade s’inclinant humblement, téméraire, purifiée, régénérée, vous vous mêlerez à nous, apprenti-cavaliers, pour nous transmettre l’espoir visible à l’aplomb de ce XXIe siècle.

L’absent nous habite de sa présence contradictoire, puisqu’il ne peut plus être là, ici, où il était, où il est toujours attendu. Cette présence, chargée de douleur, est d’autant plus difficile à recevoir qu’elle est la négation même de la présence. Pourtant nous sommes son refuge, son secours, son au-delà de sa vie. Ce n’est plus sa mémoire que nous recueillons, c’est l’avenir qu’il attend de sa mémoire. Il y a une intégrité de l’absence qui est fidélité à un souvenir continuellement étiré, retenu et qui reste là où il doit être, en nous.

Sur le chemin de votre piédestal attendu, j’imagine votre cœur battre en dépit de tout comme le « RIO TEJO » qui bat les flancs de la montagne, libre, sans attache, sachant qu’il y aura toujours un passage vers l’océan.

Nous ne pensons pas, nous, apprenti-cavaliers, que nous sommes parvenus à la perfection. Nous suivons votre exemple, et remontons régulièrement observer les étoiles. Dans ce monde des apparences, nous nous remettons à nos études, retranchons tout ce qui est superflu, redressons tout ce qui est travers, dissipons toute opacité et travaillons par imitation. Nous nous considérons d’abord comme des cavaliers qui ont appris de vous l’art remplissant bien sa fonction.

En effet, le cavalier qui s’accomplit n’est pas un créateur ivre de liberté, mais un cavalier qui sait dressé son cheval en gardant son regard fixé sur le modèle immuable d’un Génie comme vous.

En ce sens, vous êtes « l’artisan-artiste » par excellence. Vous avez su construire votre équitation et la rendre belle aux regards de nous tous.

Pénétrer les choses en s’en laissant soi-même pénétrer. C’est bien ainsi que vous nous invitiez, d’un simple signe, à suivre notre voie et à entrer authentiquement dans votre monde équestre. Qui n’est alors pas capable de s’en émouvoir ?

Mon cher Maître, vous êtes devenu cela et le saviez. Vous vous êtes recouvré vous-même dans ce rayonnement, sans qu’aucun obstacle ne vienne empêcher cette unité, sans que rien ne vienne se mêler à votre intimité ; vous aviez confiance en vous.

Élevez-vous, car nous avons besoin de guides comme vous.

Dany Lahaye

Nuno Oliveira et Euclides
Nuno Oliveira pas espagnol
Nuno Oliveira trot espagnol
Nuno Oliveira et Beau geste